MIROIR REPRESENTANT LA CHASSE, SCULPTE EN HAUT RELIEF D’UN OISEAU, DEUX TETES DE CHIEN ET DE BRANCHAGE FEUILLAGES ET FLEURIS SUR FOND OR.
ATTRIBUE A L’ECOLE DE SCULPTURE DE BRIENZ OU DIT FORET NOIRE
SUISSE VERS 1880-1900
HAUTEUR: 100 – LARGEUR: 71 cm
Histoire de la sculpture dite Forêt-Noire:
Des ours soutenant un banc ou s’appuyant sur un arbre dont les branches forment portemanteau… Ces meubles, au design délicieusement kitsch, passent généralement pour des créations artisanales de la Forêt-Noire. Cette région montagneuse de l’Allemagne occidentale, située face aux Vosges, constitue l’un des habitats naturels de l’ours. Il n’en fallait pas plus pour attribuer à cette région la paternité d’une production qui fait la part belle à cet animal. Pourtant, ces meubles et ces objets en bois sculpté proviennent de la région de Brienz, en Suisse. Le poète helvète, Heinrich Federer, les range d’ailleurs au rang de curiosités locales, au même titre que les cascades de Giessbach et les savoureuses anguilles grillées, autre spécialité régionale. Aucun touriste digne de ce nom ne pouvait, en ce XIXe siècle, quitter ces alpages sans emporter dans ses bagages l’un de ces bibelots.
Fabriqués en dilettante par les habitants de la région le soir au coin du feu, ils sont au XIXesiècle au centre d’un commerce lucratif. L’histoire débute avec la famine de 1817. Pour trouver d’autres sources de revenus, un certain Christian Fischer a l’idée de vendre sa production aux touristes.
Un artisanat de chalet
À la belle saison, le pays attire en effet de nombreux visiteurs anglais, fidèles sujets de sa majesté qui suivent les traces de la reine Victoria, venue dans la région en 1868. Son attachement pour cette contrée la conduisit à faire construire, dans sa propriété d’Osborne house, un chalet décoré de meubles et de bibelots suisses. Suivant son exemple, les aristocrates anglais en villégiature à Brienz, Luzern ou Interlaken, stations alors à la mode, achètent quantité d’objets décoratifs en forme de chalet, d’ours, de cerf ou de chouette. L’idée de Fischer fera des émules et de nombreux ateliers exploiteront ce filon. L’un des plus importants, celui de la famille Binder, comptera ainsi une centaine de sculpteurs.
Le fils, Carl Louis, passera par l’atelier parisien de Rodin. De retour à Brienz, il partagera ses expériences avec les autres artisans. La petite ville se dotera de sa propre école de sculpture en 1862. Chaque apprenti sculpteur, recruté entre 16 et 30 ans au plus, doit être capable de réaliser le dessin de son sujet. De nombreuses épreuves ont pu être conservées, témoignant des qualités artistiques de ces élèves. Pour se perfectionner, il est d’usage de se rendre au parc de la ville où l’on croise, dans un habitat naturel, quantité d’espèces animales, des ours bien sûr, mais aussi des chamois, des chouettes… Comme les grands sculpteurs animaliers parisiens dont les visites à la ménagerie du Jardin des plantes sont bien connues, Barye en tête, nos Suisses se rendent au parc étudier sur le vif les sujets de leurs prochaines sculptures. Bibelots et petits meubles, réalisés dans du bois tendre, s’inspirent ainsi de la faune et de la flore locale. La production se décline à travers une grande variété : boîtes à musique, tables à fumeurs, porte-parapluies, portemanteaux, serre-livres, pendules et sculptures miniatures ou monumentales ; toute pièce de 5 centimètres à 2 mètres… Il existait même des ensembles de mobilier complet avec table, chaise, buffet ou armoire. Présentées lors des expositions internationales, cet artisanat rencontre un réel engouement, notamment auprès du public américain. La Première Guerre mondiale mettra un frein à cette production, la baisse de la fréquentation touristique réduisant le nombre d’acheteurs potentiels. Les sculpteurs se tournèrent alors vers la réalisation de prothèses en bois, en plein essor !
Plus vrai que nature…
Aujourd’hui, les amateurs n’ont guère changé et les collectionneurs recherchent toujours ces objets pour décorer leurs chalets ou leurs propriétés. Toutefois, à l’abondance de la période faste des années 1880 à 1910, succède une certaine pénurie. Les pièces se font rares, particulièrement celles de belle qualité.Seuls les brochures d’époque attestent encore de la richesse de cette production. Liée à l’industrie touristique, elle s’adaptait en choisissant ses sujets en fonction de la demande. Les aigles étaient plutôt destinés aux clients américains et les éléphants aux indiens. La veine humoristique – le thème des ours mimant des attitudes humaines – plaisait à un plus large public. Certains artisans ont même leur spécialité : Johann Stähli se consacrera aux ours alors que son frère Alfred privilégiera les aigles… Ils seront toutefois peu nombreux à signer leurs œuvres. Les pièces anciennes, celles réalisées avant 1930, demeurent quasi introuvables.
Notre miroir est probablement une commande d’un amateur avisé d’ou de plus de sa grande qualité sculpturale, nous avons une cartouche avec des initiales.
L’italianità à Brienz
Cours à l’École de sculpture sur bois de Brienz, vers 1900.
À la fin du XIXe siècle, un vent méridional souffle sur les ateliers de l’École de sculpture sur bois de Brienz. Hans Kienholz, directeur de l’établissement, avait en effet ramené l’italianità dans l’Oberland bernois.
Le 30 octobre 1887, Hans Kienholz, directeur de l’école de sculpture sur bois de Brienz fondée trois ans plus tôt et réputée encore aujourd’hui, entame un périple en Italie. Durant ce voyage de formation qui s’achève le 4 décembre, il passe par Milan, Gênes, Pise, Rome, Sienne, puis Florence et Bologne avant de revenir à Brienz. En mars 1888, il rend compte de son expédition au conseiller d’État du canton de Berne qu’il remercie pour son soutien financier.
Contrairement à de nombreux jeunes de l’époque en voyage d’études, qui se plongent dans la culture italienne guidés par le Cicerone de Jacob Burckhardt (1818-1897) ou encore par le Baedecker, l’enseignant de Brienz a minutieusement planifié son itinéraire. Il s’agit en effet pour lui d’employer son temps de manière ciblée, en le consacrant à des «particularités artistiques» pouvant «offrir des perspectives particulières d’exploitation à visée didactique».
Le premier voyage que Kienholz effectue en sa qualité de professeur principal ne le conduit pas en Italie, où l’industrialisation émerge lentement et où la formation se dispense encore majoritairement dans les ateliers traditionnels. À cette époque, les Suisses alémaniques se tournent plutôt vers l’Allemagne, et plus encore vers l’Autriche, dont le système d’enseignement, placé sous l’égide du Musée autrichien d’art et d’industrie de Vienne, fait figure d’exemple. Visitant ce pays en 1886, Kienholz s’enthousiasme tout particulièrement pour les sculptures de Luigi Frullini (1839-1897), artiste originaire de Florence à la réputation mondiale. S’il connaît déjà ses œuvres grâce aux photographies qu’il utilise lors de ses cours à Brienz, il peut à ce moment-là les étudier sur pièce.
Un an plus tard, il se trouve à Florence, Via Santa Caterina, devant la maison de Luigi Frullini. Il y reçoit un accueil chaleureux: «Comme à Rome pour l’Antiquité et à Sienne pour le Moyen Âge, à Florence, je me suis principalement consacré à la sculpture sur bois moderne et à la fabrication de meubles et de sculptures contemporaines pour lesquelles la ville est mondialement connue», résume-t-il à l’issue des six jours qu’il passe dans la cité toscane. De fait, Frullini et ses meubles richement décorés assurent à cette époque la réputation de Florence, considérée en Europe et aux États-Unis comme la capitale de la sculpture sur bois.
Dès 1878, en effet, Johann Abplanalp, professeur à l’école de Brienz (dont les cours se concentrent à l’époque principalement sur le dessin), rapportait en conseil d’administration de l’Oberländer Schnitzlerverein que les œuvres de Frullini s’étaient «littéralement arrachées» lors de l’exposition universelle organisée à Paris. Il critiquait d’ailleurs les prix exorbitants, déplorant qu’il faille débourser 10 000 francs pour «le garnissage d’une armoire» et 600 à 1200 francs pour «de petits reliefs représentant des groupes d’enfants». De son côté, Hans Kienholz constate lui aussi que ces meubles qu’il souhaite présenter comme modèles dans ces cours «valent presque leur pesant d’or».
À cette époque, les tenants de l’historicisme admirent les qualités techniques et artistiques des maîtres toscans, issues, pensent-ils, de leur proximité avec les originaux de la Renaissance. Leurs sculptures semblent abolir les frontières entre les beaux-arts et les arts appliqués. À ce titre, elles paraissent particulièrement adaptées pour servir de modèle dans l’enseignement. Car en rapprochant l’art et l’artisanat, les réformateurs espèrent en effet améliorer la qualité formelle des produits industriels.
Pour autant, ils critiquent le «naturalisme» exubérant des sculptures ornant les œuvres principalement destinées à une clientèle aisée. Abplanalp constate ainsi que Frullini adopte de plus en plus fréquemment «l’orientation naturaliste», comme si «une armoire n’était là que pour être ornée». Rien d’étonnant, donc, à ce qu’à Brienz, ce «zèle naturaliste» soit accueilli avec ambivalence, l’école cherchant en effet à réorienter sa formation pour parer au reproche d’imitation narrative de la nature, principalement recherchée par la clientèle étrangère.
Représentation de la pêche: Relief dessiné par Hans Kienholz, vers 1900.
En effet, entre la reconnaissance de riches décorations et l’exigence d’une réduction de l’ornementation qui occulterait la fonction de l’objet, une contradiction se révèle, qui, à mesure que le siècle avance, remet toujours plus en question la sculpture en tant que moyen de conception d’objets. C’est pourtant en étudiant les sculptures originales du début de la Renaissance que Kienholz et ses contemporains espèrent résoudre ce conflit. En effet, avec le principe ordonnateur de ces formes végétales simples et superficiellement stylisées, datant du XVe siècle, une méthode semble avoir été trouvée pour promouvoir une exécution fonctionnelle, adaptée aux matériaux, d’objets destinés à la vie quotidienne moderne de tous, au-delà des couches sociales les plus aisées.
C’est la conscience de cette tradition et de l’importance, pour l’enseignement moderne, de l’étude des originaux de la Renaissance toscane qui amène Hans Kienholz à résumer en ces termes son voyage en Italie: «Grâce à tout ce qui m’a été donné de voir en Italie, je dois dire que pour les gens de notre domaine aucune autre ville sans doute n’offre autant à étudier que Florence et je ne peux jamais me départir d’un très vif plaisir lorsque je repense à mon séjour là-bas.»